Il y avait une fois un jeune prince qui trouvait les gens autour de lui méchants et égoïstes. Il en parla un jour à son précepteur qui était un homme sage et avisé et qui confia une bague au prince.
Cette bague est magique. Si tu la tournes trois fois sur elle-même, un génie t’apparaîtra. Toi seul le verra. Chaque fois que tu seras insatisfait des gens, appelle le.
Il te conseillera. Mais fais attention : ce génie ne dit la vérité que si on ne le croit pas. Il cherchera sans cesse à te tromper. Un jour, le prince entra dans une violente colère contre un dignitaire de la cour qui avait agi contre ses intérêts. Il fit tourner trois fois la bague.
Aussitôt, le génie apparut: Donne-moi ton avis sur les agissements de cet homme, dit le prince. S’il a fait quelque chose contre toi, il est indigne de te servir. Tu dois l’écarter ou le soumettre. À ce moment, le prince se souvint des paroles étranges de son précepteur. Je doute que tu me dises la vérité, dit le prince. Tu as raison, dit le génie, je cherchais à te tromper. Tu peux bien sûr asservir cet homme, mais tu peux aussi profiter de cette situation pour traiter avec lui, trouver un terrain d’entente et t’en faire un allié.
Parcourant un jour la ville avec quelques compagnons, le prince vit une immense foule entourer un prédicateur populaire. Il écouta un instant le prêche de cet homme et fut profondément choqué par des paroles qui contrastaient violemment avec ses propres convictions.
Il appela le génie. Que dois-je faire ? Fais-le taire ou rends-le inoffensif, dit le génie. Cet homme défend des idées subversives. Il est dangereux pour toi et pour tes sujets. Cela me paraît juste, pensa le prince. Mais il mit néanmoins en doute ce que le génie avait dit. Tu as raison, dit le génie, je mentais. Tu peux neutraliser cet homme. Mais tu peux aussi examiner ses croyances, remettre en cause tes propres certitudes et t’enrichir de vos différences.
Pour l’anniversaire du prince, le roi fit donner un grand bal où furent conviés rois, reines, princes et princesses. Le prince s’éprit d’une belle princesse qu’il ne quitta plus des yeux et qu’il invita maintes fois à danser sans jamais oser lui déclarer sa flamme. Un autre prince invita à son tour la princesse. Notre prince sentit monter en lui une jalousie profonde. Il appela alors son génie. – Que dois-je faire, selon toi ? C’est une crapule, répondit le génie. Il veut te la prendre. Provoque-le en duel et tue-le. Sachant maintenant que son génie le trompait toujours, le prince ne le crut pas. Tu as raison, dit le génie, je cherchais à te tromper. Ce n’est pas cet homme que tu ne supportes pas, ce sont les démons de tes propres peurs qui se sont éveillés quand tu as vu ce prince danser avec la princesse. Tu as peur d’être délaissé, abandonné, rejeté. Tu as peur de ne pas être à la hauteur. Ce qui se réveille en toi dans ces moments pénibles te révèle quelque chose sur toi-même.
À l’occasion de la réunion du grand conseil du royaume, un jeune noble téméraire critiqua à plusieurs reprises le prince et lui reprocha sa façon de gérer les affaires du royaume. Le prince resta cloué sur place face à de telles attaques et ne sut que répondre. L’autre continua de plus belle et à nouveau le prince se tut, la rage au cœur. Il fit venir le génie et l’interrogea. Ôte-lui ses titres de noblesse et dépouille-le de ses terres, répondit le génie. Cet homme cherche à te rabaisser devant les conseillers royaux. Tu as raison, dit le prince. Mais il se ravisa et se souvint que le génie mentait. Dis-moi la vérité, continua le prince. Je vais te la dire, rétorqua le génie, même si cela ne te plaît pas. Ce ne sont pas les attaques de cet homme qui t’ont déplu, mais l’impuissance dans laquelle tu t’es retrouvé et ton incapacité à te défendre.
Un jour, dans une auberge, le prince vit un homme se mettre dans une colère terrible et briser tables et chaises. Il voulut punir cet homme. Mais il demanda d’abord conseil au génie. – Punis-le, dit le génie. Cet homme est violent et dangereux. Tu me trompes encore, dit le prince. C’est vrai. Cet homme a mal agi. Mais si tu ne supportes pas sa colère, c’est avant tout parce que tu es toi-même colérique et que tu n’aimes pas te mettre dans cet état. Cet homme est comme un miroir pour toi.
Une autre fois, le prince vit un marchand qui voulait fouetter un jeune garçon qui lui avait volé un fruit. Le prince avait vu filer le vrai voleur. Il arracha le fouet des mains du marchand et était sur le point de le battre lorsqu’il se ravisa. Que m’arrive-t-il, dit-il au génie. Pourquoi cette scène m’a-t-elle mis dans cet état ? Cet homme mérite le fouet pour ce qu’il a fait, répondit le génie. Me dis-tu la vérité ? – Non, dit le génie. Tu as réagi si fortement parce que l’injustice subie par ce garçon t’a rappelé une injustice semblable subie autrefois. Cela a réveillé en toi une vieille blessure. Alors le prince réfléchit à tout ce que le génie lui avait dit. Es-tu en train de me dire que ce ne sont pas les paroles ou les actes des autres qui me gênent, me troublent ou me touchent ? Tu as bien compris, dit le génie. Ce ne sont ni leurs paroles ni leurs actes qui te dérangent ou que tu n’aimes pas, mais ce qui se réveille en toi à ce moment-là : tes peurs, tes blessures, tes frustrations, tes insuffisances.
Toutes ces choses dorment au fond de toi et sont réanimées lorsque quelqu’un dit ou fait quelque chose qui entre en résonance avec elles. Si tu jettes une mèche allumée dans une jarre d’huile, celle-ci s’enflammera. Mais si la jarre est vide ou qu’elle contient de l’eau, la mèche s’éteindra d’elle-même au fond. Ton agacement face aux autres est comme un feu qui s’allume en toi et qui peut te brûler, te consumer, te détruire.
Mais il peut aussi t’illuminer, te forger, te façonner et faire de l’autre un allié sur le chemin de ta vie. Toute rencontre difficile devient une confrontation avec toi-même, une épreuve, un moyen de te connaître, une initiation. Mais aussi un chemin qui s’ouvre devant toi. – J’ai besoin de savoir encore une chose, dit le prince. Qui es-tu ? – Je suis, moi aussi, ton reflet dans le miroir.
Charles Brulhart Janvier 2005 Vous pouvez utiliser librement ce document à condition de ne pas le modifier et de mentionner sa source: www.metafora.ch ainsi que le nom de son auteur: Charles Brulhart.
1 Comment
Framboise
13 mars 2015Une fois que j’ai eu compris ça, cela a considérablement apaisé une relation avec une personne qui d’absolument insupportable m’est presque devenue … sympathique.
Très constructif : à tester en toute humilité et en faisant taire un ego souvent bien bavard